Chapitre V

Applications : analyse de flux métaboliques, pharmacocinétiques.

 
II. Métabolisme des hormones thyroïdiennes (suite)
 
c- Analyse du métabolisme de la triiodothyronine.

Le modèle théorique du métabolisme de la T3 (Fig. V-1) ressemble à celui de la T4 à ceci près que la T3 entre aussi dans le système au niveau du compartiment périphérique (R20) par le biais de la 5'-désiodation de la thyroxine. L'évolution temporelle de la concentration plasmatique en T3-131I (Tab. V-1; Fig. V-1) est traduite par l'expression bi-exponentielle :

c1 = 0,30 e-1,8t + 0,13 e-0,096t V-18
Comme pour la thyroxine, on obtient immédiatement les paramètres V1, K1 et K2 (éq. V-2 à 4) et une estimation moyenne des microconstantes est faite à partir du produit (k12 k21) indissociable (éq. V-6 à 11). Le tableau V-3 rassemble ces premières valeurs et celles dont le calcul va suivre. La figure V-3 donne les flux d'hormone associés au modèle théorique.

La production de T3 directement dans le compartiment périphérique crée un problème nouveau déjà évoqué (chap. III, Fig. III-5). La clairance plasmatique Clp telle qu'elle a été calculée jusqu'à maintenant ne prend pas en compte les molécules qui transitent par le compartiment 2 et sont éliminées sans passer par le compartiment central. Il faut donc considérer une clairance totale Cltot > Clp. Cela implique V2 > V1k21moy/K2 (éq. V-14).

Quelles sont, en rappelant que le système T3 et chacun de ses compartiments sont en état stationnaire, les valeurs limites de V2 ? Si, par hypothèse, R20 = 0 et R10 > 0 on a les relations :

et

d'où

K2 Q2 = k21 Q1

K2 V2 = k21 V1

V2 minimal = V1 k21/ K2 = 435,11 ml

V-19
Si R20 > 0 et R10 = 0 :
et

d'où

k12 V2 = K1 Q1

k12 V2 = K1 V1

V2 maximal = V1 K1 / k12 = 557,87 ml

V-20
Sachant que les flux R10 et R20 d'entrée de T3 dans le système ne sont pas nuls V2 se situe à l'intérieur de ces limites (d'après DiStefano et coll. 1982):
et

d'où

K2 Q2 = K1 Q1

K2 V2 = K1 V1

V2 moyen = V1 K1 / K2 = 488,90 ml

V-21
L'exemple de la triiodothyronine nous confronte à quelques difficultés liées à la physiologie du système, mais l'analyse compartimentale permet d'obtenir des valeurs approchées dans des limites raisonnables.

Qu'aurions-nous obtenu par analyse non-compartimentale ?

La clairance plasmatique Clp satisfaisante dans le cas de la T4 sous-estime de 5,8 % la clairance totale Cltot ainsi que la production hormonale dans le cas de T3. Le volume de distribution Vd = V1+V2 que nous estimons à 721,46 ml n'est plus que de 613,87 ml (- 14,9 %) par analyse non-compartimentale (=100.AUMC/AUC²). Le temps de résidence moyen MRT de 9,34 h (=AUMC/AUC) au lieu 10,15 h est sous-estimé de 8 %.

 

Tableau V-3 : Paramètres du métabolisme de la triiodothyronine (T3) chez le rat adulte.

 

[* Le produit (k12k21) est indissociable (éq. V-6).

** Eléments de la matrice –[K]-1.]

Paramètres Formules Valeurs Unités
[T3] - 0,36 ng / ml
A1 - 0,30 % / ml
a - 1,8 / h
B1 - 0,13 % / ml
b - 0,096 / h
K1 (A1a+B1b)/(A1+B1) 1,2848 / h
K2 (A1b+B1a)/(A1+B1) 0,6112 / h
k21 [(k12k21)/K2+K1]/2 * 1,1435 / h
k01 K1-k21 0,1414 / h
k12 (k12k21)/k21 * 0,5356 / h
k02 K2-k12 0,0756 / h
V1 100/(A1+B1) 232,56 ml
V2 V1K1/K2 488,90 ml
Clp 100/AUC 65,75 ml / h
Cltot k01V1+ k02V2 69,82 ml / h
Prtot Cltot[T3] 25,13 ng / h
R10 K1Q1-k12Q2 13,30 ng / h
R20 K2Q2-k21Q1 11,84 ng / h
Q1 V1[T3] 48,54 ng
Q2 V2[T3] 195,56 ng
Flux de 1 vers 2 k21Q1 95,73 ng / h
Flux de 2 vers 1 k12Q2 94,24 ng / h
Flux de 1 vers 0 k01Q1 11,84 ng / h
Flux de 2 vers 0 k02Q2 13,30 ng / h
Tr11 K2/(ab) ** 3,54 h
Tr21 k21/(ab) ** 6,62 h
MRT1 Tr11/Tr21 10,15 h
N1 Tr11K1 4,54 fois
N2 Tr21K2 4,04 fois
 
Qu'aurait donné la réduction du système à un seul compartiment ?

L'équation V-18 de la courbe expérimentale n'a plus qu'une exponentielle de sorte que la constante d'élimination k01 = 0,096 / h. Le volume de distribution V = 100 / 0,13 = 769,23 ml et le pool de T3 Q = V.[T3] = 276,92 ng sont surestimés de 6,5 %. La clairance plasmatique Clp = 73,85 ml / h et le flux de production Pr = Clp.[T3] = 26,58 ng de T3 / h sont majorés de 6 % environ.

Le métabolisme de la T3 amène une remarque intéressante à propos du MRT. Celui-ci a été calculé (Tab. V-2) pour le seul cas où le marqueur est injecté dans le compartiment central. Mais nous avons ici un exemple typique d'entrée physiologique de marqué, R20, de l'extérieur (conversion de T4 en T3) vers le compartiment périphérique. Théoriquement, sinon réellement, l'administration du marqueur dans le compartiment 2 permet de suivre le devenir des molécules qui sont cachées au marqueur après son injection dans le compartiment central. Des molécules du flux R10 seront à leur tour cachées au marqueur puisqu'elles pourront transiter par le compartiment central sans passer par le compartiment 2. La solution serait bien sûr d'injecter simultanément deux marqueurs de la T3, par exemple T3-125I dans le compartiment central et T3-131I dans le compartiment périphérique, et de suivre l'évolution des marqueurs dans les mêmes prélèvements.

 

Figure V-3 : Flux en ng par heure de T4 (modèle du haut) et de T3 (modèle du bas) chez le rat mâle adulte. Les pools (ng de T4 ou de T3) sont indiqués en rouge à l'intérieur des compartiments dont les volumes (ml équivalents de plasma) sont en vert.

   
La production totale de T3 ne peut pas être inférieure à la production plasmatique, bien que les écarts soient relativement faibles (23,6 et 25,1 ng de T3 / h). Elle procède à la fois de la sécrétion thyroïdienne et de la conversion de T4 en T3 par les cellules non thyroïdiennes. Schwartz, Surks et Oppenheimer (1971) ont mesuré la conversion de T4 en T3 par l'ensemble des tissus corporels du rat après administration par voie intraveineuse d'une dose traceuse de T4-125I. Ils considèrent qu'à partir de 2 jours après l'injection l'ensemble des tissus est équilibré isotopiquement : la cinétique des hormones marquées, T4-125I ou T3-125I, est de type monoexponentiel et présente dans tout le corps la même phase lente de décroissance. La figure V-4 illustre le concept utilisé pour cette expérience.
 

Figure V-4 : Modèle de la conversion de T4 en T3 dans le corps entier du rat à partir de 3 jours après injection de T4-125I par voie intraveineuse.

   
Suivant ce modèle, l'évolution des quantités corporelles q4 de T4-125I et q3 de T3-125I dérivée de la T4 marquée est décrite par les équations V-21 et 22 élaborées par les techniques du chapitre II :
V-22
V-23
K4 étant la constante exponentielle de la courbe de disparition corporelle de T4 à partir de 2 jours après injection de T4-125I (q4(0) = 100 % de la dose), K3 celle de T3 mesurée séparément dans les carcasses de rats de même poids après injection d'une dose traceuse de T3-125I. La constante de conversion de T4 en T3 est k34. Le rapport Rt des quantités corporelles de T4-125I et de T3-125I dérivée de la T4 en fonction du temps s'exprime par :

V-24
Le facteur 2 est introduit dans les formules pour corriger le fait que la T4 radioactive est doublement marquée en positions 3' et 5' alors que la T3 issue de la conversion n'est marquée qu'en position 3'.

La constante de conversion k34 est obtenue à n'importe quel instant t à partir de 2 jours après l'injection de T4-125I en introduisant le rapport Rt dans la formule :

V-25
Les auteurs obtiennent des rapports corporels Rt de 0,1800 à 48 heures, de 0,1704 à 72 heures et de 0,1782 à 96 heures après l'injection du marqueur pour K4 = 0,0492 / h et K3 = 0,0933 / h. La constante de conversion k34 est en moyenne de 0,00828 / h. (éq V-25). La T4 convertie en T3 représente 16,8 % de la T4 produite par la thyroïde (= 100 x k34 / K4).

Comparons ces résultats anciens avec les nôtres regroupés dans la figure V-3. La sécrétion de thyroxine correspond à 100,5 ng de T3 potentielle / h (= 120 x 651 / 777 ; 651 et 777 sont les poids moléculaires respectifs de la T3 et de la T4). La conversion de T4 en T3 représenterait donc au maximum 25,0 % de la production de T4 (= 100 x 25,1 / 100,5). Mais le flux R10 est la somme de la sécrétion de T3 par la thyroïde et de la conversion de T4 en T3 par le foie et les reins qui échangent rapidement avec le plasma sanguin. En supposant que ces modes de production soient égaux chacun à 6,65 ng de T3 / h (= 13,3 / 2), la sécrétion thyroïdienne de T3 représenterait 26,5 % de la production totale de l'hormone et la conversion 73,5 % (25,1 – 6,65 = 18,45 ng de T3 / h). La conversion par le foie et les reins rendrait compte de 36,0 % de la conversion totale de T4 en T3 (= 100 x 6,65 / 18,45), la limite supérieure étant de 53 % (=100 x 13,3 / 25,1) ce qui laisse peu de place à la sécrétion thyroïdienne. Cette estimation est en accord avec des travaux suggérant que le foie assure environ 38 % de la conversion de T4 en T3 (Oppenheimer et al., 1968). En outre, la conversion de T4 en T3 correspond à 18,4 % de la production de thyroxine par la thyroïde (=100 x 18,45 / 100,5) une valeur voisine des 16,8 % estimés plus haut (Schwartz et al., 1971).

 

RETOUR AU SOMMAIRE