Chapitre V

Applications : analyse de flux métaboliques, pharmacocinétiques.

 
II. Métabolisme des hormones thyroïdiennes (suite et fin)
 
d- Analyse du métabolisme des hormones thyroïdiennes par l'équilibrage isotopique.

Si le marqueur, T4-125I et/ou T3-131I, est administré en infusion continue (perfusion intraveineuse) à débit constant, le niveau de marqueur dans tous les compartiments de l'organisme atteint progressivement une valeur constante qui est maintenue jusqu'à l'arrêt de la perfusion. On a atteint "l'équilibre isotopique". Il est de même nature que l'équilibre atteint lors de la perfusion d'un médicament (Intr. Fig. 3). Les modèles théoriques sont modifiés par rapport à ceux de la figure V-1 du fait que la perfusion r10 du marqueur s'apparente à la production continue R10 du marqué dans le compartiment central (Fig. V-5).

 

Figure V-5 : Modèles théoriques du métabolisme de la thyroxine ou T4 (haut) et de la triiodothyronine ou T3 (bas). Le marqueur, T4-125I ou T3-131I (en rouge), est perfusé à taux constant r10 par voie intraveineuse.

   
Le comportement du marqueur à l'équilibre isotopique est tout à fait parallèle à celui du marqué de sorte que :
R10 = K1 Q1 – k12 Q2

r10 = K1 q1 – k12 q2

V-26
En ce qui concerne la T3, une partie de l'hormone participant du flux d'entrée R20 par conversion de T4 en T3 est "cachée".

La technique a été utilisée chez des rats mâles adultes (van Doorn et al., 1985; Schröder-van der Elst & van der Heide, 1990) pour mesurer le contenu en hormones des tissus et leurs taux individuels de conversion de T4 en T3. En bref, les animaux avaient un cathéter à demeure dans la veine jugulaire droite pour la perfusion du mélange de T4-125I et de T3-131I. Ils étaient conscients, libres de leurs mouvements, de boire et de manger pendant toute la durée de l'expérience (6 à 28 jours). A l'équilibre la radioactivité spécifique ou RAS de chacune des hormones (T4-125I / T4 et T3-131I / T3) était supposée identique dans le plasma et les tissus. Les résultats étaient exprimés en % de la dose d'hormone marquée infusée quotidiennement. Les auteurs considéraient que tous les organes et tissus étaient équilibrés isotopiquement et à la même RAS hormonale que le plasma lorsque le débit d'excrétion de la radioactivité dans les urines et les excréments était égal au débit de perfusion de la T4-125I. Les métabolites organiques des hormones thyroïdiennes sont éliminés pour l'essentiel par voie fécale et l'iode minéral sous forme d'iodure essentiellement par les urines. L'équilibre isotopique était pratiquement atteint en une semaine (Fig. V-6).

 

Figure V-6 : Taux d'excrétion urinaire (courbes rouges), fécale (courbes jaunes) et totale (courbes bleues) de la radioactivité exprimé en % de la dose de 125I-T4 (en haut) ou de 131I-T3 (en bas) perfusée par heure  (adapté d'après Van Doorn et al., 1985; Schröder-van der Elst & van der Heide, 1990).

   
Illustrons à présent la technique d'équilibre isotopique en déterminant les concentrations en T4 et T3 de quelques organes et tissus chez des rats identiques à ceux utilisés plus haut lors de l'analyse compartimentale des hormones. On perfuse pendant une dizaine de jours par voie intraveineuse simultanément 106 dpm de 125I-T4 et 2.106 dpm de 131I-T3 par heure. Les animaux sont sacrifiés lorsque l'équilibre est atteint (Fig. V-7) et les mesures d'hormones radioactives sont effectuées sur le plasma, le cerveau, le cœur, le muscle squelettique, les reins et le foie.
 

Figure V-7 : Evolution de la quantité de marqueur dans le compartiment central (courbes bleues) et le compartiment périphérique (courbes rouges) exprimée en % de la dose perfusée par heure de 125I-T4 (en haut) ou de 131I-T3 (en bas) .

   
Les mesures de radioactivité sont alors effectuées dans divers tissus et organes. En admettant que pour chacune des hormones la RAS est la même dans toutes les parties du corps et connaissant les concentrations plasmatiques [T4] et [T3] (Tab. V-2 et 3) les concentrations dans un tissu donné sont :

V-27
Les résultats concernant le plasma, le cerveau, le cœur, le muscle squelettique, les reins et le foie sont consignés dans le tableau V-4.
 

Tableau V-4 : Concentrations tissulaires en hormones thyroïdiennes, T4 et T3, chez des rats mâles adultes estimées par la technique d'équilibre isotopique. (Estimations d'après van Doorn et al., 1984).

  Masse

(g)

% de

la dose horaire en 125I-T4

ng T4 / g % de

la dose horaire en 131I-T3

ng T3 / g
Plasma 12 24,16 29,0 1,52 0,36
Cerveau 1,5 2,28 2,74 10,98 2,60
Coeur 1,1 2,89 3,47 5,45 1,29
Muscles 155 1,77 2,12 2,91 0,69
Reins 2,2 10,16 12,20 27,8 6,58
Foie 14 19,8 23,80 19,01 4,50
   
La validité de la méthode est fonction de la nature du métabolisme envisagé. Dans le cas de la thyroxine, les RAS sont bien identiques dans les deux compartiments du système (0,83 % de la dose horaire / ng de T4). Il en va tout autrement en ce qui concerne les RAS de T3 marquée. A l'équilibre isotopique, elle est de 4,22 % de la dose horaire / ng de T3 dans le compartiment central et le plasma contre 3,76 dans le compartiment périphérique. Cette différence de 11 % est due au fait qu'une fraction de la T3 froide issue de la conversion de T4 en T3 échappe au marqueur (voir le paragraphe sur le métabolisme de la triiodothyronine). Les valeurs des concentrations tissulaires en T3 (tab. V-4) sont donc approximatives et sous-estimées de 0 à 11 %.
 

RETOUR AU SOMMAIRE