Chapitre II

Etude des systèmes et modélisation

 
I. Modèle de l’eau corporelle (suite)
 
c- Analyse du système eau à partir des premières minutes suivant l'injection du marqueur.

Mathématiquement, les exponentielles deviennent d’autant plus négligeables en fonction du temps que leur décrément est plus élevé. L’équation décrivant la disparition plasmatique de 3H2O dans un système à 3 compartiments est la somme de 3 exponentielles :

c1 = A1e-at + B1e-bt + C1e-ct

II-4

où par convention a >> b >> c. Ainsi au temps t = 10 minutes A1e-at » 0,0003 %/litre ; il faut attendre environ 3 heures pour que B1e-bt » 0,0001 %/litre et 3000 heures (125 jours) pour que C1e-ct » 0,0002 %/litre. C’est la base de la technique du ‘peeling’ ou épluchage des courbes pluri-exponentielles qui consiste à séparer les différentes exponentielles à partir des données expérimentales. Le tableau suivant nous donne les concentrations plasmatiques en 3H2O (2ème colonne, désignée par c1 (%/litre) A ) pendant les 20 heures suivant l’injection du marqueur :
 

Tableau II-1 : Concentrations plasmatiques en eau tritièe et résultats du peeling de la courbe pluri-exponentielle.

t

(heures)

c1 (%/l)

A

Exp3

B

Exp1+2

A-B

Exp2

C

Exp1

(A-B)-C

Exp2+3

B+C

0

-

2,4896

-

4,6537

-

7,1433

0,02

13,8797

2,4895

11,3902

4,3395

7,0507

6,8290

0,04

8,4341

2,4893

5,9447

4,0466

1,8981

6,5359

0,06

6,7736

2,4892

4,2845

3,7735

0,5110

6,2626

0,08

6,1453

2,4890

3,6563

3,5187

0,1376

6,0078

0,1

5,8071

2,4889

3,3183

3,2812

0,0370

5,7701

0,3

4,1186

2,4874

1,6312

1,6312

0,0000

4,1186

0,5

3,2969

2,4859

0,8110

0,8110

3,2969

0,7

2,8876

2,4844

0,4032

0,4032

2,8876

0,9

2,6834

2,4829

0,2004

0,2004

2,6834

1

2,6235

2,4822

0,1413

0,1413

2,6235

2

2,4791

2,4748

0,0043

0,0043

2,4791

3

2,4675

2,4674

0,0001

0,0001

2,4675

5

2,4526

2,4526

0,0000

0,0000

2,4526

10

2,4162

2,4162

2,4162

20

2,3449

2,3449

2,3449

     
Les colonnes 3 à 7 rassemblent les résultats du peeling de la courbe expérimentale. Dans un premier temps on établit l’équation mono exponentielle de la partie terminale de la courbe, correspondant aux points non colorés de la 2ème colonne du tableau. Pour cela il est commode d’utiliser des feuilles semi-logarithmiques dont l’échelle des ordonnées est en progression géométrique. Elles permettent de poser directement les concentrations c1 en fonction du temps t (Fig. II-4) sans avoir à les transformer en logarithmes. Parce que la courbe C1 n’est pas une droite on peut affirmer que l’évolution des concentrations plasmatiques en marqueur est décrite par une équation poly-exponentielle du type de celle déjà vue au chapitre I :
c1 = A1.exp(-a.t) + B1.exp(-b.t) +…+ M1.exp(-m.t)

II-5

     

Figure II-4 : Représentation en coordonnées semi-logarithmiques du peeling de la courbe expérimentale c1 des concentrations plasmatiques en eau tritiée.

[Voir

animation

avec des tri-exponentielles]

 

 

 

En prolongeant au temps t = 0 la droite en rouge qui passe par les tous les points expérimentaux au-delà de 5 heures on obtient l’image en rouge de la dernière exponentielle M1exp(-mt) dont les valeurs sont dans la colonne 3 du tableau (Exp3 B) : à l’intersection de la droite avec l’axe des ordonnées on lit le coefficient exponentiel M1 (= 2,4896 %/l).

La constante exponentielle m est obtenue en partant de la relation qui existe entre deux points y1 et y2 de la droite aux temps respectifs t1 et t2. En effet :

y1 = M1 exp(-m t1) et ln y1 = -m t1 + ln M1

y2 = M1 exp(-m t2) et ln y2 = -m t2 + ln M1

II-6

II-7

La constante m est isolée en soustrayant les deux expressions logarithmiques :
ln y1 - ln y2 = m (t2 - t1)

II-8

d’où
m = [ln(y1/y2)]/(t2-t1)

II-9

Prenons deux points quelconques dans la 3ème colonne du tableau II-1 (Exp 3 B) correspondant à la courbe rouge de la figure II-4, par exemple y1 = 2,4859 % / litre à t1 = 0,5 h et y2 = 2,4162 % / litre à t2 = 10 h. En appliquant la formule II-9 on obtient m = 0,003 / h, aux erreurs d’arrondi près. On peut vérifier que le résultat est identique en utilisant d’autres couples de points. La valeur exacte de m est 0,002994 / h. Ainsi la troisième exponentielle a pour expression :
Exp 3 B = 2,4896 exp(-0,002994 t)

II-10

Pour obtenir les autres exponentielles, à chaque temps t on retranche à c1 la valeur correspondante de la courbe rouge (Exp 3 B) ce qui donne les chiffres de la 4ème colonne du tableau II-1 (Exp1+2 A-B) non reportés sur le graphique. Nous aurions pu vérifier que les premiers points (valeurs colorées) n’étaient pas dans l’alignement des derniers et en déduire que nous avons encore à faire à une poly-exponentielle. Comme nous l’avons fait pour la 3ème exponentielle, extrayons la seconde exponentielle à partir des points qui s’alignent entre 0,3 heure (18 minutes) et 3 heures après l’injection du marqueur. Les valeurs sont listées dans la colonne Exp 2 C du tableau II-1 et représentées par la courbe bleue de la figure II-4 exprimée par l’équation :
Exp 2 C = 4,6537 exp(-3,4944 t)

II-11

En soustrayant les valeurs de la courbe bleue (Exp 2 C du tableau II-1) des valeurs de la courbe non représentée sur le graphique (4ème colonne du tableau II-1, Exp 1+2 A-B) on obtient une série de points qui sont tous alignés (Exp 1 (A-B)-C ; courbe verte), caractéristique d’une seule exponentielle :
Exp 1 (A-B)-C = 26,1900 exp(-65,6126 t)

II-12

Pour écrire l’équation de l’évolution de la concentration du marqueur dans le plasma sanguin il ne reste plus qu’à regrouper les résultats en classant (par convention) les exponentielles selon l’ordre décroissant de leurs constantes exponentielles :
c1 = 26,1900 exp(-65,6126 t)

+ 4,6537 exp(-3,4944 t)

+ 2,4896 exp(-0,002994 t)

II-13

La concentration c1(0) du marqueur au temps t = 0 est égale à la somme des coefficients exponentiels soit 33,3333 %/l, puisque exp(0) = 1. On admet, bien qu’il s’agisse d’une approximation, qu’au temps t = 0 le marqueur est réparti en totalité et de façon homogène dans le seul compartiment central. Le volume apparent du compartiment 1 est alors :
V1 = 100 / (A1 + B1 + C1) = 3 litres équivalents de plasma

II-14

     

Animation (Peeling pour une biexponentielle)

     
d- Analyse du système eau réduit à deux compartiments.

Si les concentrations plasmatiques en 3H2O ne sont déterminées qu’à partir de 0,3 heure après l’injection du marqueur, la première exponentielle  "26,1900.exp(-65,6126 t)" de l’équation II-13 a quasiment disparu. Il ne reste plus qu’une bi-exponentielle :

c1 = 4,6537 exp(-3,4944 t) + 2,4896 exp(-0,002994 t)

II-15

dont les valeurs sont listées dans la 7ème colonne (Exp 2+3 B+C) du tableau II-1. A partir de 20 minutes environ après l’injection l’eau radioactive s’est répartie de façon homogène dans les liquides extracellulaires (plasma + liquide interstitiel) mais pas encore dans le liquide cellulaire. Au temps t = 0 la concentration c1(0) de 7,1433 % / litre de plasma (= 4,6537 + 2,4896) permet de calculer le volume central :
V1 = 100 / 7,1433 = 13,999 litres

II-16

Ce volume est quelque peu sous-estimé par rapport aux 15 litres représentant la somme des volumes plasmatique et interstitiel du modèle à 3 compartiments. Cette divergence laisse présager que la simplification d’un modèle peut conduire à des estimations approximatives voire erronées des paramètres.

Dans le cas présent on peut envisager un modèle théorique à deux compartiments, dans lequel les valeurs des volumes et des flux ont été adaptées d’après les données du système de référence à trois compartiments. Le volume V1 devient la somme des volumes plasmatique et interstitiel (3 +12=15 litres). Le volume cellulaire n’a pas de raison apparente de changer. Les transferts entre liquide interstitiel et liquide cellulaire deviennent des échanges entre les liquides extra et intracellulaires. Il est évident que ce modèle à 2 compartiments ne permet plus d’estimer les flux aqueux entre plasma et liquide interstitiel.

 

Figure II-5 : Métabolisme de l’eau corporelle réduit à 2 compartiments.

   
D’un point de vue pratique les erreurs commises en simplifiant le modèle ne sont pas très importantes en ce qui concerne l’eau (4 à 7 % sur les volumes). Elles peuvent le devenir pour d’autres systèmes.

Ce paragraphe nous a permis d’entrevoir quelques possibilités offertes par l’analyse de flux, en ce qui concerne la mesure du volume V1 du compartiment central dont la signification physiologique dépend du modèle envisagé. Ainsi nous avons obtenu le volume total d’eau corporelle, à l’aide d’un modèle à 1 compartiment, puis celui du plasma à partir du modèle de référence à 3 compartiments et enfin celui du liquide extracellulaire avec le modèle à 2 compartiments. Les paragraphes suivants nous donneront les moyens d’exploiter au mieux les modèles et d’en tirer le maximum de renseignements sur les systèmes métaboliques étudiés.

 

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