Chapitre II

Etude des systèmes et modélisation

 
IV. Méthode de l'infusion constante du marqueur.
 
On peut recourir à l'infusion constante du marqueur pour mesurer la quantité d'une substance endogène dans les tissus ou un organe particulier. Les infusions par intraveineuse (perfusion), par voie orale ou par implantation d'une mini-pompe osmotique (Introduction. Fig. 2-3) sont les plus utilisées.

Dans les expériences "d'équilibrage isotopique" le marqueur radioactif est administré à taux constant pour atteindre un "plateau" corporel significatif de l'équilibre entre le débit d'infusion du marqueur et son taux de disparition par tous les processus physiologiques d'élimination. La radioactivité spécifique (RAS) du marqué qui est le "rapport de la quantité de marqueur sur la quantité de marqué plus le marqueur" est alors la même dans tout l'organisme. Dans la pratique, la RAS est approximativement le rapport de la quantité de marqueur sur la quantité de marqué, puisque la masse de marqueur administré en dose traceuse est négligeable face à la masse de marqué. En principe, la RAS est identique dans le plasma sanguin et les autres tissus. Il suffit alors de mesurer la quantité de marqueur sur un fragment d'un tissu ou d'un organe (biopsie) pour obtenir la concentration [S] en quantité de marqué par unité de masse du tissu ou de l'organe :

[S] = RAS x Quantité de marqueur / Masse de l'échantillon . II-113
En théorie, l'équilibre n'est atteint qu'au temps infini. Pour pallier à cet inconvénient, on injecte parfois une dose flash ou "dose de charge" de marqueur en même temps que débute la perfusion ce qui permet d'atteindre beaucoup plus tôt une RAS plus ou moins proche de l'équilibre.

L'évolution du marqueur dans l'organisme est appréciée à l'aide d'un modèle où le marqueur et le marqué entrent parallèlement dans le compartiment central. Examinons le cas d'un système à un seul compartiment (Fig. II-11) où le marqueur est administré en perfusion intraveineuse à débit "r10" constant .

 

Figure II-11 : Système à 1 compartiment avec perfusion continue "r10" de marqueur. R10 représente le flux d'entrée du marqué dans le compartiment 1 dont k01 est la constante de renouvellement.

   
Le modèle mathématique de ce système est constitué d'une seule équation différentielle linéaire :
dq'1 / dt = r10 – k01 q'1 II-114
La transformation de Laplace de la constante r10 (voir chap. I, éq. I-72) s'écrit :
Lr10 = r10 / s II-115
et celle de l'équation différentielle II-114 :
s F'1 – q1(0) = r10 / s – k01 F'1 II-116
S'il n'y a que la perfusion, q1(0) est nul. La transformée de Laplace de l'équation décrivant l'évolution de la quantité q'1 de marqueur dans le système :
II-117
présente 2 pôles (s1 = 0 et s2 = – k01). La fonction q'1 est alors la somme des deux résidus :
    et   II-118
soit :
II-119
Au temps t = ¥ , l'expression "exp (-k01 t)" s'annule de sorte que la quantité de marqueur à l'équilibre est :
q'1(¥ ) = r10 / k01 II-120
     
Exercice : Infusion constante d'un marqueur (1 compartiment, avec ou sans dose de charge)
 
Supposons que pour une substance endogène "S" quelconque nous ayons déterminé après injection IV d'une dose q1(0) de 2000 dpm de marqueur "s" radioactif (l'unité dpm exprime le nombre de "désintégrations par minute") les paramètres suivants : R10 = 2,5 mg / h, V1 = 10 litres et k01 = 0,05 / h. On perfuse par IV le marqueur à un taux r10 = 100 dpm / heure, soit 5 % / heure de q1(0). La concentration c'1 (dpm / litre) augmente progressivement (Fig. II-12) pour tendre vers une valeur constante asymptotique c'1(¥ ) lorsque le flux d'élimination du marqueur "k01 q'1" est exactement égal au flux de perfusion "r10".
 

Figure II-12 : Concentrations plasmatiques en marqueur pendant sa perfusion par IV (courbe rouge) avec asymptote (ligne en pointillé) et après injection unique par IV (courbe bleue) d'une dose de marqueur nécessaire pour que c1(0) soit égal à c'1(¥ ).

   
A l'équilibre, pour t = ¥ , le parallélisme entre l'évolution du marqueur et celle du marqué est parfait :
r10 = k01 q'1(¥ ) comme R10 = k01 Q1 II-121
Le mode d'administration du marqueur ne change en rien les caractéristiques du système telles que la clairance plasmatique Clp, le volume de distribution V1, la constante de renouvellement k01. Il en découle que :
r10 = k01 V1 c'1(¥ ) = Clp c'1(¥ )

c'1(¥ ) = r10 / Clp

II-122
Ce qui signifie que l'on peut définir le taux de perfusion "r10" nécessaire pour obtenir la concentration à l'équilibre "c'1(¥ )" désirée ou inversement prévoir la concentration "c'1(¥ )" en fonction de la perfusion appliquée.

On observe que la courbe bleue (Fig. II-12) d'équation :

c1 = c1(0) exp(– k01 t) II-123
où l'on a pris c1(0) égal à c'1(¥ ), et la courbe rouge sont rigoureusement symétriques de sorte qu'à chaque instant :
c'1 + c1 = c'1(¥ ) II-124
On peut donc atteindre d'emblée la concentration d'équilibre c'1(¥ ) en injectant, en même temps que débute la perfusion, une "dose de charge" q1(0) égale à q'1(¥ ). La transformée de Laplace II-117 et les résidus II-118 sont alors modifiés en :
II-125
et II-126
Les équations de la quantité q'1 et de la concentration c'1 de marqueur deviennent :

II-127
Pour t = 0, le premier terme des équations II-127 s'annule et c'1 = c1(0). Pour t = ¥ , c'est le second terme qui s'annule et c'1 = c'1(¥ ). Puisque la dose de charge a été prise égale à q'1(¥ ), la concentration c'1 est toujours égale à c'1(¥ ).

La clairance plasmatique Clp peut être obtenue aisément

Clp = r10 / c'1(¥ ) II-128
Il suffit d'apprécier graphiquement la valeur de c'1(¥ ). Le volume apparent de distribution V1 :
V1 = Clp / k01 II-129
qui nécessite de connaître la constante k01.

Si l'on arrête la perfusion à un moment t = T, la concentration plasmatique diminue aussitôt de manière exponentielle (Fig. II-13). A partir du temps T où la concentration du marqueur culmine à " c'1(T)" l'équation de la courbe décroissante est :

c'1 = c'1(T) exp[– k01 (t – T)] II-130
Si une dose de charge q1(0) égale à q'1(¥ ) a été utilisée, c'1(T) = c'1(¥ ).
 

Figure II-13 : Concentrations plasmatiques en marqueur pendant sa perfusion par IV (courbe rouge) avec asymptote (ligne jaune) et après interruption de la perfusion au temps T = 36 heures.

   
L'équation numérique de la phase ascendante de la courbe (Fig. II-13) entre t = 0 et t = 36 heures est :
c'1 (dpm / l) = 200 [1-exp(– 0,05 t)] II-131
Connaissant r10 =100 dpm / heure il vient :
Clp = r10 / c'1(¥ ) = 100 / 200 = 0,5 litre / heure

V1 = Clp / k01 = 0,5 / 0,05 = 10 litres.

II-132
Dans notre exemple c'1 atteindrait 95 % de c'1(¥ ) après 2,5 jours de perfusion et 99 % après 4 jours. Pendant la phase de décroissance après interruption de la perfusion (à T = 36 heures, c'1 = c'1(T) = 166,94 dpm/l) :
c'1 (dpm / l) = 166,94 exp[ – 0,05 (t –36)] II-133
pour t = 36 heures. Il faut injecter une dose de charge q1(0) = (c'1(¥ ) V1) = 2000 dpm / heure pour obtenir d'emblée c1 = c'1(¥ ) = 200 dpm / litre.
 

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